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Conditions eccl é siologiques et critères canoniques de l'application des évêques titulaires à la pratique ecclésiale contemporaine

Anastasios Loukas, L'institution des évêques titulaires
dans la tradition canonique,
Genève- Chambésy 2017, p. 123 - 137.

 

1. Ordination et succession apostolique

La tradition apostolique constitue la base statutaire de l'interprétation de l'origine, de la réception, de la transmission de la mission et de l'exercice du pouvoir que le Christ a concédé aux apôtres et à leurs successeurs, pouvoir sur le fonctionnement apostolique de l'épiscopat, à savoir dans l'annonce de la Bonne Nouvelle de la salvation en Christ faite à toutes les nations jusqu'à l'accomplissement des temps et jusqu'aux confins de la terre 1. La conscience que les apôtres avaient de l'importance de la tâche qui leur était confiée par le Christ se trouve exprimée remarquablement bien par l'apôtre des Nations non seulement de par la haute qualité théologique de sa prédication sur tout le mystère de la divine économie en Christ par le salut de l'espèce humaine mais aussi de par la ferveur enthousiaste d'accomplir plus efficacement la mission à lui confiée par le Christ lui-même lors de sa vision de Damas. C'est ainsi qu'il décrit la grandeur de la responsabilité apostolique de tous les apôtres pour la diffusion de l'Evangile dans toutes les nations: « Qu'on nous considère donc comme des serviteurs du Christ, et des intendants des mystères de Dieu. Or, ce qu'on demande en fin de compte à des intendants, c'est de se montrer fidèles » 2.

Il est donc visible que les apôtres avaient été choisis par le Christ-même pour être, comme nous l'avons vu, « témoins » de l'œuvre accomplie lors de sa vie sur terre, mais aussi les «annonciateurs» du message rédempteur de l'Evangile à toutes les nations, avec l'assistance du Saint-Esprit, afin que soit rétablie la communion entre le genre humain et Dieu. C'est dans ce sens qu'Il expliquait en particulier aux apôtres aussi bien le contenu profond de ses paroles et de ses actes que le contenu de leur propre mission après son ascension aux cieux 3, ainsi que la nécessité de la mission du Saint-Esprit, de l'Esprit de vérité en tant que son assistant par excellence pour les guider vers la vérité entière et afin que le Fils et Verbe de Dieu soit glorifié pour l'œuvre accomplie; car la s ynergie du Fils et de l'Esprit saint était nécessaire dans tout le mystère de la divine économie en Christ 4.

Les apôtres avaient donc reçu le pouvoir du Christ par son souffle après la résurrection, ainsi que les instructions fondamentales de leur mission; mais il leur fallait encore attendre la mission du Saint-Esprit pour que leur annonce de l'Evangile aux nations soit sûre et sans fautes. Il va donc de soi que les instructions du Christ aux apôtres étaient de se consacrer pleinement à la prédication de l'Evangile, de baptiser les croyants et de les regrouper en un corps ecclésial centré sur la célébration de la divine Eucharistie dans chaque Église locale fondée, et cela sur le modèle de la Cène accomplie avec ses apôtres avant la Passion 5. C'est dans cet esprit que, bien qu'il n'ait pas pris part à la Cène avec les autres apôtres, l'apôtre Paul relia de manière absolue tout le contenu théologique de la prédication apostolique sur le message rédempteur de l'Evangile avec le sens théologique de l'exhortation que le Christ fit aux apôtres lors de la Cène sur la célébration ininterrompue de la divine Eucharistie pour que soit visible la présence réelle du Christ dans chaque assemblée eucharistique des fidèles.

Dans ce cadre, on trouve les paroles très caractéristiques de l'apôtre des nations aux fidèles de l'église locale de Corinthe, qui confondaient le pain et le vin bénits de la divine Eucharistie avec les aliments communs des fidèles lors des agapes célébrées: « en effet, voici l'enseignement qui j'ai reçu du Seigneur et que je vous ai transmis: Le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain et, après avoir remercié Dieu, il le rompit et dit: ''Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites ceci en mémoire de moi.'' De même, il prit la coupe après le repas et dit ''Cette coupe est la nouvelle alliance de Dieu, garantie par mon sang. Toutes les fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi.'' En effet, jusqu'à ce que le Seigneur vienne, vous annoncez sa mort toutes les fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez de cette coupe. C'est pourquoi, celui qui mange le pain du Seigneur ou boit de sa coupe de façon indigne, se rend coupable de péché envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun donc s'examine soi-même et qu'il mange alors de ce pain et boive de cette coupe; car si quelqu'un mange du pain et boit de la coupe sans reconnaître leur relation avec le corps du Seigneur, il attire ainsi le jugement sur lui-même » 6.

Il est donc évident que le pouvoir du Christ concédé aux apôtres et la célébration de la Cène eurent dès l'époque apostolique la fonction d'étayer solidement, immuablement et solidairement, toute l'évolution de la fondation, de la composition et du fonctionnement du corps de chacune des églises locales puisque, comme nous l'avons vu, l'évêque était, aux premiers temps post-apostoliques, d'après saint Ignace le Théophore (+ 107 ap. JC), non seulement le célébrant ou le garant d'une Eucharistie certaine, mais aussi le chef (la tête) visible du corps de l'Eglise locale; c'est pourquoi il était établi avec l'accord («avis» favorable) du Christ et avec la « synergie » de l'Esprit saint, à l'image et à la place du Christ. La très vaste diffusion de l'Evangile dans presque toutes les grandes villes du monde gréco-romain déjà lors de la succession apostolique influença de manière déterminante la tradition apostolique, d'une part en ce qui concernait l'introduction d'un clergé local dans chaque église locale par ordination sacramentelle canonique (de presbytres ou d 'évêques, et de diacres ) et d'autre part pour ce qui était de la description territoriale de chacune des églises locales ( Jérusalem, Antioche, Smyrne, Éphèse, Philippes, Thessalonique, Corinthe, Rome, etc. ), lesquelles exerçaient cependant une action apostolique et veillaient à l'organisation des nouvelles communautés chrétiennes, certes par référence aux apôtres et avec leur assentiment.

Le lien évident entre le pouvoir du Christ concédé aux apôtres avec aussi la mission du clergé permanent des églises locales entraînait nécessairement lors de l'ordination la description claire des limites des compétences qui lui était octroyées, compétences qu'il exerçait toujours au nom de l'apôtre l'ayant ordonné ou de son assistant, et par référence à lui. Dans ce sens, déjà à l'époque apostolique, c'est, comme nous l'avons vu, aux disciples de premier ordre et aux assistants des apôtres que fut transmise, par ordination sacramentelle et avec la synergie de l'Esprit saint, la plénitude du pouvoir apostolique, afin qu'ils mettent en pratique l'œuvre apostolique par référence à l'apôtre les ayant ordonnés, qu'ils proclament l'évangile suivant son mandat, qu'ils soutiennent les églises locales nouvellement établies et qu'ils en ordonnent le clergé local.

Par conséquent, les disciples et assistants des apôtres ayant reçu la plénitude du pouvoir apostolique par ordination sacramentelle ne reçurent pas, jusqu'à la mort des apôtres, de région territoriale particulière pour l'y exercer, puisqu'ils avaient été ordonnés pour assister l'œuvre de l'apôtre les ayant ordonnés, et cela toujours sur le mandat de l'apôtre et par référence à lui ; en revanche, après la mort des apôtres, ils exerçaient de plein droit et définitivement l'œuvre apostolique en tant que successeurs des apôtres dans la région confiée (Syrie, Asie, Macédoine, Achaïe, Italie, etc.), ce qui fait que leur œuvre apostolique fut aussi reliée à une région territoriale particulière.

En tant qu'épiscopes d'une vaste région, comme p. ex. la Syrie ou l'Asie Mineure, les successeurs des apôtres avaient sous leur pouvoir épiscopal (= de surveillance) toutes les églises locales se trouvant dans leur région quand, en raison de leur vieillesse, de leur santé, etc., ils s'installèrent dans l'église apostolique la plus importante de leur région, comme Ignace à Antioche en Syrie ou Polycarpe à Smyrne en Asie Mineure; c'est pourquoi, à la fin du 1er siècle, ils ordonnaient, pour épiscopes locaux dans les plus importantes églises locales, le plus expérimenté des clercs de chaque église locale. Or l'existence de nombreux évêques dans les régions de Syrie et d'Asie Mineure lors du séjour du disciple apostolique Ignace le Théophore à Smyrne (+ 107 ap. JC) est confirmée non seulement par le fait que soient rendus à Smyrne de nombreux évêques d'Asie Mineure se soient rendus à Smyrne pour faire la connaissance d'Ignace mais aussi par le sens du contenu ecclésiologique de ses lettres théologiques sur le rôle exclusif de l'évêque dans la constitution, l'unité et le fonctionnement de l'église locale, toujours centrée sur la divine Eucharistie et sur toute sa vie sacramentelle.

Il est évident qu'à l'époque post-apostolique (70 - 150 ap. JC), l'organisation et le fonctionnement de l'église locale, basées sur l'évêque, s'exprimaient toujours dans la liturgie centrée sur l'eucharistie de toute sa vie sacramentelle. Ainsi, si d'une part l'évêque était toujours, en tant que porteur par excellence du pouvoir du Christ, aussi bien le célébrant que le garant de la certitude de l'Eucharistie dans chaque église locale, d'autre part la divine Eucharistie était toujours était aussi bien l'expression visible de la présence réelle du Christ dans son assemblée eucharistique que l'unité des fidèles ( corpus fidelium ) dans le corps historique du Christ avec leur participation à la divine Eucharistie.

La relation indissociable de l'Evêque et de l'Eucharistie rendait donc évidente le lien indispensable de son élection et de son ordination avec une église locale particulière; c'est pourquoi l'ordination absolue d'un évêque est canoniquement inconcevable, c'est-à-dire une ordination où ne serait pas déclarée, lors de sa célébration, l'église locale dans laquelle il est établi non seulement en tant que célébrant mais aussi en tant que garant de la certitude de l'Eucharistie.

Dans ce sens, durant les trois premiers siècles, il ne pouvait pas se poser de questions d' ordination absolue d'un évêque, puisqu'en cas de décès ou de disparition pour sorte de raisons ( apostasie de la foi, déviation vers des doctrines hérétiques, adhésion à des groupes schismatiques, etc. ), les membres de l'église locale, clercs et laïcs, se réunissaient en assemblée et élisaient le candidat convenable parmi le clergé local pour succéder à l'évêque disparu pour quelque raison que ce soit, et invitaient les évêques des lieux voisins à ordonner le candidat élu dans le cadre de la divine Liturgie de l'église locale, après avoir auparavant vérifié l'orthodoxie de la foi et la moralité irréprochable de la personne proposée.

Il n'existait donc pas de circonstances pour l'ordination absolue d'un évêque, puisque c'étaient le clergé et le peuple de l'église locale qui élisaient le candidat à la succession de l'évêque disparu; c'est pour cela que des ordinations absolues d'évêques se trouvaient être les ordinations anticanoniques effectuées par les groupes schismatiques surtout dans les grandes églises locales comme par exemple à Rome (Novatiens), à Alexandrie (Mélèce), à Antioche (Paul de Samosate), à Carthage (Donat), etc.

Toutefois, durant les trois premiers siècles, comme nous l'avons vu, l'ordination d'évêques sans référence de leur ordination à une église locale particulière n'était totalement exclue, comme par exemple avec l'introduction de l'institution des chorévêques ou évêques des champs pour satisfaire aux besoins liturgiques et pastoraux des communautés chrétiennes en essor rapide dans les bourgs ou les villages de la plus vaste région des églises locales florissantes des grandes villes des éparchies de l'empire romain.

Certes, l'élection et l'ordination des chorévêques était effectuée par l'évêque du lieu dont relevait le bourg en question, mais en tant que simple prolongement de l'autorité épiscopale de l'évêque de la ville dans l'assemblée eucharistique de la communauté chrétienne; c'est pourquoi, s'il est vrai que le chorévêque présidait à la divine liturgie dans la communauté chrétienne du bourg confié à lui, en tant que mandaté par l'évêque de la ville, il n'avait cependant pas, bien qu'ayant reçu la plénitude du pouvoir épiscopal lors de son ordination, le droit d'ordonner des clercs dans son chorévêché sans l'approbation de l'évêque du lieu et il était soumis à son contrôle canonique dans presque tous les aspects de sa mission pastorale.

Par conséquent, vu cette situation, le chorévêque n'était pas le garant de la certitude de l'Eucharistie de l'église locale; c'est pourquoi il se référait canoniquement à l'évêque du lieu et à la divine Eucharistie célébrée par celui-ci pour que soit plus apparente l'unité de l'église locale dans la personne de l'évêque et dans la divine Eucharistie.

Dans ce cadre, bien qu'il eût dans son chorévêché un Autel à lui pour célébrer la divine liturgie sans entraves, cependant, en même temps, le chorévêque la célébrait aussi en tant qu' évêque auxiliaire de l'évêque de la ville quand il était invité par ce dernier soit à faire face en commun à un problème grave dans l'église locale soit à le remplacer lors de son absence temporaire de l'église locale pour des motifs ecclésiastiques ou personnels. On trouve un exemple caractéristique dans la longue absence au désert du vieil évêque ascétique Narcisse de Jérusalem (192 - 213), qui contraignit le clergé et le peuple de l'église locale à élire un évêque auxiliaire non seulement pour satisfaire aux besoins créés par une absence temporaire mais également pour l'assister dans sa mission apostolique même après son retour du désert.

 

2. Succession apostolique et juridiction territoriale

Nous avons jugé nécessaire de mentionner en détails les considérations canoniques ci-dessus non seulement parce qu'elles furent employées par d'éminents canonistes byzantins et modernes lors de la discussion sur les sujets en question mais aussi parce qu'on peut les utiliser comme des critères significatifs pour une compréhension plus claire et une interprétation plus juste de la raison, de la notion et des conséquences de l'interdiction canonique de l' ordination absolue . D'ailleurs, l'emploi du terme '' χειροτονείν '' cheirotonein, «ordonner», dans la tradition canonique de la période des conciles œcuméniques est équivoque et par conséquent dénuée de clarté puisque, comme nous l'avons souligné, il est aussi bien employé dans le sens d' élire le candidat à l'épiscopat que dans celui de célébrer le sacrement sacerdotal.

Le fait que le Ier concile œcuménique (325) ait relié le terme cheirotonein, «ordonner», surtout à l'élection de tous les évêques de chaque province romaine par le synode provincial (canons 4 et 6) - bien qu'il n'ait pas aboli son emploi équivoque consacré, à double sens - rendit malgré tout plus difficile leur distinction.

Il devint plus difficile de les distinguer d'une part parce qu'était dorénavant exclue la compétence exclusive consacrée du clergé et du peuple de chaque église locale d'élire leur candidat à l'épiscopat et d'autre part parce que la compétence exclusive de l'élection de tous les évêques des églises locales de chacune des provinces fut désormais attribuée au corps des évêques du synode provincial, qui jusqu'alors célébraient de par la coutume, en tant que voisins géographiquement, l'ordination des candidats élus par l'église locale.

Or les confusions dues à la relation ambiguë du terme cheirotonein aussi bien à l' élection canonique des évêques qu'à l' ordination sacramentelle se firent plus graves lors du 4e siècle. En effet, les scissions en chaîne de grands groupes hérétiques ou schismatiques (ariens, pneumatomaques, apollinaristes, Katharoi, Donatistes, etc.) quittant l'unité de l'Eglise avaient d'ordinaire le soutien du Palais et voyaient leur survie liée à l'imposition en masse d'évêques de leur opinion dans leurs zones d'action, donc sans référence à un évêché ou avec une relation fictive avec un évêché, comme par exemple les ariens en Orient, les Méléciens d'Egypte, les Donatistes d'Afrique du Nord, etc.

Par conséquent, la question du nombre des évêques devint importante pour l'Eglise, puisque les ariens, comme le notait Basile le Grand, ordonnaient des évêques de leur tendance jusque dans les plus petits bourgs des éparchies d'Orient pour acquérir la majorité des évêques dans chaque éparchie et le contrôle absolu des synodes provinciaux et aussi pour détrôner de leur siège les évêques orthodoxes, avec le concours empressé des empereurs ariens. C'est dans cette optique que Basile le Grand incitait les évêques orthodoxes à ordonner des évêques orthodoxes jusque dans des localités insignifiantes pour neutraliser les plans illégitimes des ariens; c'est pourquoi il procéda lui-même à des ordinations en chaîne dans des petites bourgades ou dans des localités insignifiantes, telle l'ordination de saint Grégoire le Théologien dans le hameau de Sasimes.

Il est donc évident que, si le canon 6 du IVe concile œcuménique (451), qui interdit avec une extrême rigueur l' ordination absolue, ne mentionne expressément que les presbytres et les diacres, le destinataire principal de l'interdiction est en fait l'évêque, non seulement en tant que célébrant par excellence de toute «ordination absolue» de clercs de n'importe quel degré, mais aussi en tant que receveur d'une ordination absolue . L'évêque est donc le sujet et l'objet de l'intention de ce canon soit en tant que célébrant arbitrairement ou que recevant superficiellement l'ordination manifestement anticanonique, laquelle n'est pas seulement nulle et non avenue pour celui qui la reçoit mais aussi humiliante pour l'évêque qui la célèbre.

En conséquence, l'Eglise n'est pas le sujet ni l'objet de l'intention de ce canon, de même que de tous les autres canons, puisqu'elle est non seulement la source commune de tous les canons mais aussi le gardien par excellence de l'esprit authentique de la mission sotériologique de l'Eglise, lequel régit les canons. Mais l'importance particulière des remarques canoniques ci-dessus sur le sens profond de l'interdiction de l' ordination absolue ainsi que de l'absence de rejet de l'institution des évêques titulaires pourrait apparaître plus clairement avec leur application à une autre question canonique en rapport avec celle-ci, comme celle de l' amovibilité des évêques .

Le point de vue canonique dominant dans cette question est que les canons interdisent sévèrement tout transfert des évêques loin du diocèse pour lequel ils ont été ordonnés, dans un autre diocèse, d'ordinaire plus grand, mais, en manipulant les canons en question, on continue de transférer les évêques.

L'interprétation canonique de cette contradiction va de soi, comme dans le cas de l'ordination absolue - des évêques titulaires, puisque ce sont clairement les évêques qui recherchent leur transfert pour des motifs intéressés qui sont sujet ou objet des canons interdisant l'amovibilité des évêques, et non pas certes l'Eglise, qui n'est pas soumise à l'interdiction canonique et peut décider des transferts d'évêques pour un accomplissement plus efficace de sa mission apostolique.

 

3. L'ordination et l'institution des évêques titulaires

En ce sens, nous avons focalisé notre étude sur un e approche historique et canonique de l'évolution au fil du temps du lien canonique de l'ordination épiscopale avec un e circonscription territoriale d'une Eglise locale pour l'exercice d'une mission pastorale permanente.

Plus précisément, il s'agit de la tradition canonique des temps apostoliques jusqu'au schisme du 11 e siècle. L'axe principal de notre étude est basé sur l a pratique ecclésial e établi e lors de s trois premiers siècles, ainsi que sur les nombreuses et différentes déviations ecclésiales du canon 6 du IV ème Concile œcuménique (451) qui interdisait les ‘ ordinations absolu e s '.

Certes, ces déviations ont été suscitées par de s faiblesses individuelles et de s fautes des personnes ordonné e s dans l'exercice de leurs devoirs pastoraux dans le cadre de leur mission, assigné e par une église locale, à savoir:

1 ) la non prise en charge des devoir s pastoraux de l'église locale, assignée lors de leur ordination ,

2) l'abdication injustifiée d e l 'exercice du pouvoir épiscopal, à cause de difficultés de nature pastorale qui concernent les relations avec le clergé ou les ouailles de l'église ,

3) la destitution ou la déchéance du siège, à cause de la nonchalance ou de graves omissions liturgiques et pastorales permanentes et

4) l'abandon injustifié sans coercition violente d'une église locale, soumise à l'occupation d'un conquérant hétérodoxe ou d'autre religion , etc.

Cependant, d'autres déviations du canon précité ont surgis non des faiblesses individuelles au niveau pastoral, mais aussi des différentes aptitudes individuelles des évêques à répondre aux besoins impératifs de l'Eglise pour une organisation complète et efficiente du fonctionnement interne du corps ecclésial de l'évêché, ainsi que pour une fiable mise en avant de la fois transmis e à ceux qui sont proches comme à ceux qui sont éloignés , à savoir:

1) la préparation adéquate de cadres spécialisés au soutien de la mission contemporaine de l'Eglise qui est d' entreprendre des initiatives pour un dialogue constructif avec le pouvoir d e l 'Etat, avec la science et avec la société pour affronter ensemble les différent e s confus ions idéologiques, spirituel le s et financières.

2) répondre aux besoins liturgiques et spirituels des pratiquants qui composent son corps ecclésial .

3) prendre soin pour le développement nécessaire du témoignage missionnaire, à une époque de concurrence intense au niveau missionnaire des religions au détriment des peuples chrétiens éprouvés.

4) la mise en valeur complète des évêques éloignés de force des régions passé e s sous le pouvoir de conquérants hétérodoxes ou d'autres religions ( in partibus infidelium ) afin de soutenir les chrétiens persécutés.

5) La mise en valeur de tous les évêques titulaires (destitués, déchus, en congés, évêques auxiliaires etc.) pour répondre aux besoins de toutes les sections d'œuvre missionnaire, si complexe de nos jours.

Premièrement, il est évident que sur la base canonique de la période de s Conciles œcuméniques, l'institution des ‘ évêques titulaires ' ne peut pas être évaluée sans discernement , en se limitant seulement à l'interdiction générale et abstraite de l'ordination absolue selon le canon 6 du IVème Concile œcuménique (451), c'est-à-dire de l'ordination d'un clerc de tout rang (évêque presbytre, diacre), sans une liaison précise et réelle avec une institution ecclésiale précise et s a mention territoriale (évêques, paroisse). Cependant, il faut souligner que cette interprétation superficielle dominante qui reste au pied de la lettre du canon n'exprime pas sa propre intention , d'un e part parce que le terme ‘ ordination ' dans la tradition canonique de l'époque concernée avait un sens ambigu, signifiant tant l 'élection que la cérémonie de l'ordination et, d'autre part parce que l'ensemble ou presque des canonistes byzantins reconnus avaient accepté sans discernement que l ' interdiction du canon était , prétendument, contraignante de manière générale, donc non seulement pour les évêques qui avaient reçu une ordination absolue, mais aussi pour l'Eglise même. Par conséquent, avec cette générale interprétation erronée qui reste au pied de la lettre l'Eglise d e vient sans discernement le sujet ou l'objet de l'interdiction du canon, malgré le fait que c'est son autorité qui est la source de tous les canons. C'est en ce sens que l'Eglise avait toujours des évêques titulaires pour la servir dans sa mission pastorale multiple.

Deuxièmement, c'est dans ce cadre que s'insère la dialectique bien raisonnée sur le fait que l'origine du pouvoir épiscopal remonte à la succession apostolique, ainsi que sur les façons apparues au cours de l' histo ire dans l'établissement de son rapport avec une église locale ou avec une mission précise de l'Eglise, selon les besoins impératifs du corps ecclésial lors des circonstances adverses de chaque époque. Ainsi, la transmission par le Christ de son pouvoir aux apôtres et à ses successeurs les évêques pour prêcher l'Evangile du salut en Christ à tou te s les nations ‘ allez donc dans le monde entier ' n'est pas mis en relation avec l'attribution d'une certaine circon scription territoriale à chaque apôtre, mais les apôtres pouvait répartir de s zones territoriales de leur mission. Cela s e déduit tant de la décision des apôtres de procéder à l'ordination des presbytres et des diacres pour répondre aux besoins de l'église locale de Jérusalem pour programmer leurs activités missionnaires en général, que d es décisions relatives du Synode des apôtres (47 A. JC) pour la transmission de l'Evangile aux nations 7. En ce sens, comme nous l'avons constaté, les apôtres transmettaient avec une ordination sacerdotale à leurs disciples et assistants les plus éprouvés ( Timothée, Tite, S i las etc. ) le pouvoir donné à eux par le Christ pour le soutien périodique de leur œuvre apostolique dans les églises locales des régions sous leur responsabilité apostolique, cependant sans définir lors de leur ordination une région d'activité permanente.

Troisi è m em ent, peu avant leur mort , les apôtres ont distribué ces régions à leurs disciples ordonnés ayant comme critères principaux leur origine, leurs préférences, ainsi que la fréquence de leurs visites périodiques, comme on le déduit d'après les témoignages relatifs de la Didaché et de l'épître d e Clémen t de Rome (ch. 42-44) adressée à l'église locale de Corinthe (96 a. JC). Par conséquent, le lien permanent du pouvoir apostolique avec une église locale ou une région de responsabilité apostolique, bien qu'il ne fût pas exclu (cf. Jacques à Jérusalem) n'était pas tout à fait compatible avec le commandement du Christ aux apôtres de prêcher l'Evangile dans le monde entier. C'est pourquoi ce lien ne fut pas observé durant l'époque apostolique et post-apostolique (70 - 100 a p .JC.). Cependant, le pouvoir apostolique avait toujours comme point de référence s a mise en pratique dans une ou plusieurs églises locales d'une circonscription territoriale précise.

Quatri è m em ent, la souplesse de la tradition apostolique pour la définition des limites de la raison ou du mode du rapport périodique ou permanent du pouvoir transmis par le Christ aux apôtres avec un e seule circon scription territoriale ou une église locale est demeuré e dans la conscience ecclésiale comme un critère déterminant pour: a) la relation entre l'ordination et la succession apostolique et b) le rapport du pouvoir épiscopal avec une circon scription territoriale d'une église locale. Ce constat s e déduit d es fameuse s épîtres d'Ignace l e Théophore qui traitent le fond théologique de la structure épisco po centrique de chaque église locale , ainsi que d es témoignages d'Iréné e de Lyon sur la succession apostolique de la foi et de l'ordre dans chaque église locale 8.

Cinquièmement, cette évolution n'excluait pas une adaptation flexible ayant comme base de cette structure épisco po centrique l'exemple des apôtres pour répondre aux besoins pastoraux de chaque église locale. C'est le cas de l'introduction lors du II ème siècle des institutions de ‘chorévêque' ou ‘évêque des champs', ‘évêque auxiliaire' du ‘système paroissial', etc. Ainsi, ces institutions s ont demeuré es dans la conscience ecclésiale comme de s critères canoniques fiables pour l 'évaluation non seulement de la stricte interdiction de l'ordination absolue par le canon 6 du IV ème Concile œcuménique (451), avec les commentaires relatifs des canonistes reconnus byzantins du XII ème siècle Jean Zonaras, Théodore Balsamon et Aristénos, mais aussi d es limites de dépendance mutuelle de l'ordination épiscopale et de l'église locale, c'est-à-dire du lien de l'autorité épiscopale avec la façon d' affronter les besoins multiples et impératifs visant à l'accomplissement fiable de sa mission pastorale et sociale en tout lieu et à toutes les époques et

S ixièmement, ces constats sont très importants pour l'interprétation canonique tant de la genèse historique de l'institution ecclésiale contestée des ‘évêques titulaires', que de la grande variété de ses expressions historiques dans la vie ecclésiale. L'institution des évêques titulaires est apparu e à cause :

1 ) de l'expulsion violente et massive d'évêques des régions placées sous la domination des conquérants hétérodoxes ou d'autres religions ( in partibus infidelium ), qui ont recouru aux régions libres de leur église ou à cause de la fuite des évêques non expulsés par les conquérants,

2 ) d e la sollicitude due à la dotation en effectif s et au soutien financi er de la mission à l'étrang er et pour le fonctionnement sans entraves du service religieux de l'armée,

3) de l'engagement canonique pour la protection de l'organisation canonique, le fonctionnement harmonieux de la vie interne du corps ecclésial et s a protection de déviations arbitraires d'évêques sur de s questions importantes de foi, de l'ordre canonique et de la vie moral e qui peuvent implique r des peines de destitution de la dignité épiscopale, de déchéance de leur siège, démission, suspense à perpétuité , et

4) de la sollicitude évidente pour la formation des cadres spécialisés adéquats pour l'administration des organ es d e direction , des services financi ers et d u ministère social des églises locales. Par conséquent, pour l es raisons précitées, l'Eglise avait depuis toujours des ‘évêques titulaires' qu 'elle utilisait toujours selon leurs aptitudes personnelles et les besoins ecclésiastiques particuliers à chaque lieu et à chaque époque.


1 Mt. 28, 18 - 20, Jn. 20, 21 - 23, Ac. 1, 7 - 8, 2, 1 - 4 etc.

2 1 Co. 4, 1 - 2.

3 Ac. 1, 7 - 10.

4 Jn. 15, 16 - 17, 26 - 27, 16, 7 - 9, 12 - 15.

5 Mt. 28, 18 - 20, 26, 26 - 29, Mc. 14, 22 - 25, Lu. 22, 14 - 20, Jn. 6, 50 - 58, 1 Co. 10, 15 - 17, 11, 23 - 29, etc.

6 1 Co. 11, 23 - 29.

7 Ac. 2, 1 - 47, 13, 1 - 3, 15, 6 - 29, Ga. 2, 6 - 21.

8 Adv. Haer ., III, 3, 1 - 3.

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